L'histoire du tournoi est indissociable de celle de la société chevaleresque, il est né et mort avec elle. Il a donc une longévité exceptionnelle et s'est pratiqué durant cinq siècles. Toutefois, les tournois de Guillaume le Maréchal n'ont rien de commun avec le tournoi où en 1559 Henri Il trouva la mort. En fait, c'est au cours de joutes que le roi mourut et l'apparente continuité dans l'emploi du mot cache une évolution très nette dans la nature de l'exercice. A partir du XVème siècle, une certaine confusion terminologique s'installe, elle ne se fait que dans un sens, le tournoi n'est jamais appelé joute, en revanche la joute est fréquemment qualifiée de tournoi, confusion qui en dit long sur le prestige acquis par le tournoi.
Pourtant les hommes du XIVème siècle ne confondaient pas les deux mots, les ordonnances royales, les chroniques, les différencient avec soin, preuve qu'ils correspondaient dans leur esprit à des réalités différentes. Cette confusion terminologique est l'obstacle majeur à l'étude des tournois, il est important de pouvoir les différencier à coup sûr. L'approche étymologique apporte des renseignements précieux sur la nature de l'exercice.
Le fait que le mot ne se rencontre pas avant 1066 montre qu'il naquit avec son objet. En effet, il ne nous a pas été légué par les anciens, le père Menestrier (1) n'a relevé le mot que chez les auteurs de la Basse Grèce comme Cantacuzène ou Grégoras et déjà il pouvait affirmer : "c’est de nous que les orientaux ont pris le nom de jouste et de tournoy".
Pourtant la plupart des auteurs modernes ont tenté de trouver chez les anciens l'origine du tournoi et le moyen le plus noble de résoudre le problème de son étymologie fut de le faire naître sous les murs de TROIE, à l'image de Du Cange (2) qui explique qu'ils furent inventés : "par Enée lorsqu'il fit inhumer Anchise, son père, dans la Sicile", si bien que pour beaucoup les tournois restèrent les jeux troyens. Pour la même raison, les historiens de cette époque ne rédigeaient pas une histoire des tournois sans étudier ce qui chez les Anciens s'apparentait le plus à cet exercice, ainsi Vulson de la Colombière et Verdy du Vernois consacrent plusieurs chapitres à ce sujet. Actuellement, si les historiens s'accordent à lier l'étymologie du tournoi à son origine, ils n'en arrivent toutefois pas aux mêmes conclusions. Dominique Barthélémy (3) fait dériver le mot d'une racine germanique qui signifie exercice. Michel Parisse (4) préfère y voir un "néologisme latin forgé sur le mot français tornare-tourner". il considère que si un mot nouveau fut nécessaire, c'est qu'il renvoyait à une forme de combat nouvelle, le combat à l'épée n'ayant jamais été qualifié de tournoiement. Aussi l'auteur pense que ce que Geoffroy de Preuilly inventa, est une nouvelle escrime à la lance où le cavalier doit faire demi-tour pour réattaquer.
En effet, même si Nithard (5) atteste que des simulacres de combats eurent lieu lors de l'entrevue qui fut à l'origine des serments de STRABOURG, on ne peut fixer l'apparition du tournoi qu'une fois que le mot fut prononcé, et la première mention en est faite dans la Chronique de Saint Martin de TOURS (6) où il est écrit : "Gaufridus de pruliaco qui torneamenta invenit apud andegavis occiditur". Le tournoi apparaît donc avant 1066 date de la mort de Geoffroy de Preuilly et en Touraine, il se répand rapidement dans toute la chrétienté mais les autres peuples n'ont jamais contesté à la France la paternité du tournoi, Mathieu Paris (7) le qualifie même de "conflictus Gallici". Toutefois, comme avec le problème des origines se pose toujours un souci de légitimation, il apparaît sage d'adopter une vision modérée en rejoignant Michel Parisse (8) pour qui : « Tout cela n'est pas né en un jour, en une fois, l'idée fut lancée, elle convint à beaucoup et le tournoi obtint rapidement un vif succès".
Au XIIème siècle le tournoi est devenu un affrontement
de combattants tactiquement semblable à une bataille, entre des
groupes de chevaliers équipés comme pour la guerre, comme
elle, il se livre aux marches des principautés et occasionne des
morts et des pillages. Mais la différence avec la bataille,
c'est qu'il ne comporte pas d'enjeu territorial et qu'il n'est pas censé
représenter la volonté divine. Avec les perfectionnements
de la guerre, le tournoi ressemble de moins en moins à une bataille,
toutefois il peut être défini comme une bataille chevaleresque
où les combattants s'affrontent en mêlée sans chercher
à se tuer, ce que résume Antoine de la Sale qui au XVùme
siècle décrit le tournoi comme une "courtoise
bataille" (9). Les armes employées ne le caractérisent
nullement, la lance y est parfois utilisée et même si l'épée
et la masse deviennent les armes de tournoi par excellence, c'est la tactique
qui le détermine. Il y a tournoi quand un combat simulé
se déroule en mêlée. Il se distingue donc aisément
de la joute qui est un combat individuel, Jean Jules Jusserand (10) en
les confrontant fait ressortir leurs différences : "Les
tournois étaient faits à l'imitation des batailles
et les joutes à l'imitation des duels". En fait, ils
ne se ressemblent pas du tout et la confusion est née de la nostalgie
du tournoi disparu.
Le tournoi apparaît avec la chevalerie et comme elle on en connaît mal les origines. Quoi qu'il en soit, il prend rapidement une importance considérable et aux XII et XIIIèmes siècles, il est un véritable phénomène de société, son déroulement nous est connu grâbe aux romans de chevalerie et aux nombreuses études qu'ils ont suscité. Paradoxalement, on ignore pratiquement tout du tournoi du XIVème siècle car la littérature ne lui accorde plus la place de choix qu'il y occupait auparavant. Ce qui, conjugué avec le déclin des tournois perceptible à la fin du XIIIème siècle dans les romans de chevalerie, a même amené certains historiens à les faire mourir au XIIIème siècle, ainsi Catherine Gauche, qui a étudié le tournoi dans Sone de Nansay, conclut à la fin du temps des tournois : "On peut considérer que la décision de Louis IX marque la fin du tournoi" (11), elle les considère "comme une survivance d'un autre âge qu'on évoque avec un rien de nostalgie mais sans regret véritable " (12) .
Mais son jugement est peu fondé, en effet, les sources n'ont
jamais été aussi abondantes qu'au début du XIVème
siècle où sont produits de nombreux documents juridiques
visant à réprimer les tournois. Ils émanent
du pouvoir tant royal que pontifical, puisqu'en 1313 Clément V les
interdit par sa bulle "pasiones miserabiles".
La question des tournois est portée sur le devant de la scène
et occasionne un débat dont les temps forts sont un mémoire
de Pierre Dubois de torneamentis et justis, et en 1316 la révocation
de l'interdiction par Jean XXII. Donc, non seulement le tournoi n'a
pas disparu mais en plus il est devenu une affaire d'etat. L'étude
du tournoi au XIVème siècle mérite donc l'attention
de l'historien, alors que le tournoi du XIIIème siècle nous
est connu par les romans de chevalerie et que celui du XVè siècle
peut être étudié à travers les chroniques et
les traités de chevalerie, l’approche au XIVè siècle
est juridique et donc la nature des documents restreint le champ de l'étude,
ils renseignent sur la place qu'occupe le tournoi dans la société
à travers ses implications dans la vie économique, militaire
et politique, par contre les informations fournies sur leur déroulement
ne sont que des indices. Tant par leur nombre que par leur suivi,
les ordonnances de Philippe IV montrent que la répression du tournoi
fut une des préoccupations majeures du roi tout au long de son règne,
ce qui indique que le tournoi ne se réduit pas alors à l'aspect
ludique qu'il prend au XVème siècle. Quelles sont les
raisons qui amènent le roi à systématiser la politique
de prohibition amorcée par ses prédécesseurs ? Comment
expliquer l'apparente incohérence de la politique pontificale ?
Pourquoi le tournoi disparaît-il brutalement après 1316 et
quelle est la signification du passage du tournoi à la joute ? Autant
de questions auxquelles ce mémoire cherche à apporter une
réponse.